Vous avez reçu un SMS

 

Vous avez reçu un SMS

(Protection Sabam) 

 

Non ! Dites-moi que je rêve ! Que c’est une mauvaise blague. Hein ?  

Il empoigne son téléphone portable, le secoue, l’injurie avec beaucoup d’imagination.

Quel con je fais ! Ça m’apprendra à être paresseux au point de ne pas différencier la sonnerie du réveil de celle des SMS ou encore des appels. Résultat, il est royalement trois heures trente du matin. J’ai reçu un texto, la belle affaire. Ma nuit est fichue et je ne sais pas comment on fait pour voir le numéro de celui qui me l’a envoyé. Ce terroriste noctambule me demande : 

« Tu vas m’en vouloir encore combien de temps ? ».

Élie n’a pas envie de jouer, son sommeil est passé et son humeur est des plus charmantes.

Il hésite, répond :  « Jusqu’à la nuit des temps ! » et il coupe son portable.

 

Au boulot, il se renseigne pour savoir qui a pu lui faire un tour aussi puant. Les autres le toisent, comme s'ils avaient pu faire une chose aussi puérile.

Élie a un mal de chien à se concentrer sur les plans qu’il dessine. La salle de bain va finir par se retrouver dans le salon et les chambres à la cave. Il décide de faire une pause.

Peut-être que la réponse qu’il a envoyée a blessé quelqu’un. Comment a-t-il pu être aussi inconscient. L’architecte réfléchit, aimerait trouver un moyen de se rattraper. Il décide de rédiger un message d’excuse :

«Veuillez m’excusez pour cette nuit. Le manque de sommeil ne me rend pas aimable.»

Soulagé, il peut retourner bosser. A peine réinstallé à sa table de dessin que son portable l’informe : « Vous avez reçu un SMS ».

 

Louis soupire : « Mets-le sur vibreur s’il te plaît, merci, c’est pire qu’une corne de brume.»

Il ne s’attendait pas à recevoir une réponse si vite. La situation est ambiguë, une clarification s’impose. Il lit : «Excuse acceptée. Question. Pourquoi tu me dis, vous ?».

Élie se dit qu’il doit tirer ça au clair : « Vous aviez composé un faux numéro. Désolé»

 

L’architecte se promène dans le parc, admire les couleurs automnales.

Il aime observer ce que crée la nature en terme de formes et de couleurs. Élie pense que l’homme ne réalise que de pales copies. Le crépuscule sera vite là, il presse le pas. Dans son appartement règne un joyeux désordre que désapprouve fermement la femme de ménage. Elle ne peut ranger ni le bureau ni la chambre car lui s’y retrouve, c’est comme ça. Il jette son fin pardessus sur le dossier du fauteuil en cuir usé et sent vibrer la poche de son pantalon. Avec le temps et beaucoup de jurons, Élie maîtrise son foutu téléphone. Il identifie le numéro qui vient de lui envoyer un texto. L’homme lit  et sourit malgré lui:

 

- « Bonsoir, on ne s’était pas présentés. Je m’appelle Paul, je suis fleuriste. »

- « Je suis Élie, architecte. Ça fait un moment dites-moi. »

- « Ça a du bon parfois de faire des erreurs. Je m’étais trompé de personne, d’histoire…

Et vous Élie ? »

- « Je suis quelqu’un de terre à terre. Pourquoi reprendre contact ? »

- « Parce que vous m’aviez dit que vous étiez désolé et vous n’étiez pas obligé. Je ne crois pas au destin mais aux rencontres qui font que… Pour cela il faut être prêt. Peut-être qu’un jour vous m’écrirez que je vous ai un tout petit peu manqué, qui sait ? A bientôt ou pas, on a toujours le choix. »

 

Élie ne répond pas, le poids des mots est terrible quand on ne se voit pas.

Le bureau organise les fêtes de fin d’année. Tout le monde se doit  de mettre la main à la pâte. Guirlandes, boules de Noël, neige artificielle et la corvée d’emballage de cadeaux, tout y passe. C’est l’éclat total, il y a des paillettes partout, des bonnes intentions se propagent avec la clim' et des sourires semblent se dessiner contraints et forcés sous les visages d’ordinaire figés au Botox. Il faut qu’il sorte de cet endroit avant de s’effondrer comme une merde sur le sol. La porte n’est plus très loin. Son ami Louis le retient par le bras, l’architecte se dégage en lui faisant un signe négatif de la tête. Élie a une main sur la poignée de la porte et dans l’autre un angelot. Il se retourne, se fige.

Élie échappe à cette euphorie, c’est à cette période qu’il a perdu l’amour de sa vie. Il sait qu’il doit se forcer, afficher une mine réjouie, complètement surfaite, débile, inappropriée mais indispensable pour être dans la norme de ce foutu mois de décembre.

Cependant, les artifices n'y changeront rien, à l’intérieur les lumières se sont éteintes, la fête est terminée depuis le jour où… Tout crie son absence. Le vin chaud qui lui faisait tourner le cœur ou encore la lueur des bougies qui faisait de leur salon comme le centre d’une cathédrale. Élie sent ses doigts se crisper autour d’une décoration en cristal. Le vide, cet immense vide… Il chancelle, se cramponne à la porte, essaie d’appeler Louis… Il a froid… Si froid… L’obscurité semble l’engloutir … Élie ne se débat plus… L’angelot en cristal se brise dans la paume de sa main. Il ne ressent pas la douleur, rien. Il entend des voix, au loin, très loin qui semblent affolées. Puis, plus rien, à nouveau le vide…

Élie reprend ses esprits, Louis penché sur son cas. L’architecte a besoin d’être seul mais pas comme d’habitude. Dehors, l’air froid lui fait mal en pénétrant dans ses poumons. Il doit colmater l’hémorragie douloureuse de l’absence. Élie a payé le prix fort, plein pot, la blinde, dix ans, dix ans, c’est le temps qui s'est écoulé sans qu’il ne fasse aucun acte spontané, par peur d’oublier l’être qu’il aime, qu’il a aimé. Alors enfin il pleure, enfin il s’autorise à pleurer, Élie admet qu’il est parti sans espoir de retour. L’architecte respire à poumons déployés, l’air qui pénètre lui semble salutaire. Il prend son portable, hésite encore. Dix ans, ça ne s’efface pas d’un claquement de doigt. Mais on a toujours le choix n’est ce pas… Il écrit :

« Bonsoir Paul, vous m’avez manqué… » Envoyé… Une sonnerie à fendre l’âme déchire la quiétude de la nuit. « Vous avez reçu un SMS ». Élie n’hésite plus, impatient, il lit :

« Vous aussi. Joyeux Noël Élie. À très bientôt… »

Alors il se met à rire, rire comme seuls les vivant peuvent le faire.

 

 

 Nerfs d'Acier



05/02/2012

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