ArcelorMittal Luxembourg: Plan d avenir siderurgique LUX2016
ArcelorMittal: Une promesse soumise à conditions
Selon l'accord tripartite signé hier, ArcelorMittal pourrait investir entre 300 et 400 millions d'euros dans ses sites luxembourgeois au cours des cinq prochaines années.
De notre journaliste Christiane Kleer
Or, ces sommes seront dévolues prioritairement aux installations d'Esch-Belval et de Differdange. En ce qui concerne Rodange et Schifflange, l'espoir d'un retour à l'âge d'or diminue davantage. Pour le LCGB, les deux sites sont voués à une fermeture complète. L'OGBL est moins pessimiste. Car enfin, tout dépend de sa récente étude.
Plan d'avenir sidérurgique LUX2016»– c'est ainsi que l'accord conclu, hier, entre ArcelorMittal, le gouvernement et les syndicats a été baptisé. Un nom qui est destiné à rassurer, en suggérant que l'ère de la sidérurgie est encore loin de sa fin. Même si le mot «avenir» se prête évidemment à des interprétations différentes. L'accord signé hier aussi.
D'un côté, les éléments retenus dans le texte permettent de garder l'espoir. ArcelorMittal s'est engagé à entretenir voire moderniser deux de ses sites: avant la fin de 2016, le géant de l'acier devrait investir 78 millions d'euros à Differdange et 153 millions d'euros à Esch-Belval. Et c'est surtout le site de Belval, site de production des palplanches, qui tient à cœur au groupe.
«Nous sommes le leader mondial pour cette solution acier à haute performance, une position qui a été forgée sur de nombreuses années et une position que nous sommes déterminés à soutenir et à développer par le biais d'efforts soutenus de recherche et développement ainsi que de marketing», a insisté Michel Wurth, membre de la direction générale du groupe, hier, à l'occasion de la conférence de presse qui a suivi la réunion tripartite.
C'est pourquoi ArcelorMittal pourrait, à moyen terme, investir 230 millions d'euros supplémentaires dans Belval, pour moderniser le «Train 2», dédié aux palplanches laminées. Mais on est bien dans le conditionnel. Ce n'est qu'après avoir réalisé une étude de rentabilité que le groupe se décidera définitivement. «Nous devons d'abord analyser le marché et déterminer ainsi les produits que nous pourrions ajouter à notre palette», poursuit Michel Wurth. La décision définitive devrait tomber en 2013.
En ce qui concerne les 231 millions d'investissements dans Differdange et Belval, ArcelorMittal s'est donc «engagé».
Or, même si les trois parties ne se sont pas lassées de répéter qu'ArcelorMittal a «toujours tenu des engagements pour la sidérurgie luxembourgeoise», ce sera désormais au Comité de suivi des investissements de contrôler la détermination du groupe. «Avoir confiance c'est bien, contrôler c'est mieux», a lancé, hier, le ministre de l'Économie, Etienne Schneider. En effet, Michel Wurth a répété à plusieurs reprises à quel point l'avenir de la sidérurgie luxembourgeoise dépendait de l'évolution de la conjoncture, nationale et surtout internationale. «Nous nous sommes réunis aujourd'hui (hier) parce que l'Europe est en crise. Entre 2006 et aujourd'hui le secteur a connu une baisse de 20% des commandes. Nous devons continuer à réfléchir à comment nous pouvons assurer la compétitivité et la productivité de nos sites luxembourgeois», a-t-il ainsi lancé.
Rodange et Schifflange: tout dépend de l'audit
Et c'est justement la conjoncture, celle des dernières années, qui pourrait définitivement causer la perte de Rodange et Schifflange. Pour l'instant, l'avenir de ces deux sites menacés depuis des mois est plus qu'incertain. Car si ArcelorMittal a promis des centaines de millions pour Differdange et Belval, pas un centime n'a été prévu pour Rodange et Schifflange. «Rodange et Schifflange n'étaient plus compétitifs. Ils réalisent des produits à faible valeur ajoutée, face à une surcapacité du marché. Il en résultait des centaines de millions de perte», a rappelé le ministre Etienne Schneider, hier.
Après des mois d'insécurité, marqués par ce genre de déclarations, Patrick Dury, président du LCGB, ne se fait plus d'illusions: «Nous pouvons dire ce que nous voulons, deux de nos sites sidérurgiques fermeront», estime-t-il. Du côté de l'OGBL, on parle d'un «accord mi-figue mi-raisin», durement négocié.
Pour Jean-Claude Bernardini, secrétaire central de l'OGBL Sidérurgie et Mines, «l'arrière-goût amer que nous avons depuis six mois est toujours là». Mais il a encore de l'espoir. Et celui-ci se fonde sur une étude que son syndicat a réalisée et qui démontrerait qu'il existe «des alternatives» permettant la viabilité économique des deux sites.
La ligne de Sotel jugée «indispensable»
Le ministre de l'Économie, Etienne Schneider, a voulu prendre au sérieux le travail du syndicat. Et a commandité un audit sur l'étude en question, audit dont les résultats ne sont pas encore disponibles. Mais lors de la réunion d'hier, la tripartite a décidé de créer un groupe de travail chargé de tirer des conclusions de l'étude en question. Au cas où celles-ci seraient positives, Rodange et Schifflange pourraient donc avoir un certain avenir. Mais mieux vaut rester prudent. Même le ministre n'est pas tout à fait confiant. «Il est probable que Rodange et Schifflange ferment. Mais je ne veux pas anticiper le travail sur l'étude de l'OGBL», a noté Etienne Schneider. Et Michel Wurt d'ajouter: «Tout dépend de la crise économique. Mais j'ai du mal à croire que les secteurs des infrastructures et de la construction reviendront au niveau d'avant 2006», note-t-il.
Enfin, l'accord LUX2016 ne concerne pas uniquement les investissements d'ArcelorMittal. D'autres points ont été négociés. Ainsi l'État pourrait mettre la main sur plusieurs terrains dont ArcelorMittal est propriétaire, et ce pour réaliser des projets de logement. «Nous devons désormais réaliser des études pour définir les terrains qui pourraient nous intéresser», a déclaré Etienne Schneider. Celui-ci est également revenu sur l'importance de la ligne à haute tension entre Moulaine en France et le Grand-Duché, jugée «indispensable». «ArcelorMittal affronte régulièrement des problèmes au niveau de l'alimentation électrique dus aux bouchons sur le réseau. Avec cet accord, nous nous engageons à résoudre ce problème», a expliqué Etienne Schneider.
Environ 450 salariés à reclasser
La cellule de reclassement (CDR) est l'outil essentiel du modèle social luxembourgeois. Son rôle: accueillir, orienter et conseiller les salariés des sites où ArcelorMittal supprime des postes. L'arrêt provisoire puis à durée indéterminée de l'aciérie de Schifflange a gonflé ses effectifs jusqu'à plus de 600 salariés. Aujourd'hui, ils sont environ 450, mais ce chiffre varie chaque jour.
Les salariés sont reclassés «à des postes équivalents dans la mesure du possible», indique Arne Langner, directeur de la communication d'ArcelorMittal au Luxembourg. En attendant, ils sont mis à la disposition d'ArcelorMittal et peuvent être affectés sur des remplacements ou des missions courtes avant de revenir à la CDR. «Il y a des reclassements qui peuvent être positifs, soutient Jean-Claude Bernardini, secrétaire central du syndicat Sidérurgie et Mines de l'OGBL. Tout dépend des perspectives d'évolution en interne comme en externe.»
C'est à Belval et Differdange que les salariés sont surtout reclassés. Mais pas de sureffectif en vue: «Il y a encore des personnes qui partent en préretraite à remplacer et celles qui partiront au 1er janvier 2013», précise Arne Langner.
Les salariés placés en CDR continuent de percevoir leur salaire, mais ArcelorMittal ne verse plus que 20% de la somme, le reste étant assuré par l'État. «C'est une solution plus avantageuse à tous les égards que le coût en cas de non-maintien de l'emploi», commente Arne Langner.
Si la CDR constitue un acquis social majeur, elle pourrait être plus efficace selon Jean-Claude Bernardini. «Il y a un élément que l'on n'arrive pas à mettre en musique, c'est la problématique de la formation. On peut établir un profil pour chaque poste, mais si le salarié ne présente pas le profil requis, il faut essayer d'adapter la personne par le biais de la formation. C'est un outil qui n'est pas assez utilisé dans le modèle de la CDR.»
Camille Leroux-Frati
L'État s'engage aussi
Si le gouvernement, les syndicats et ArcelorMittal ont signé un accord hier, c'est d'abord parce que le géant de l'acier a promis d'investir dans l'avenir de la sidérurgie locale. Mais aussi parce que l'avenir des 1100 salariés confrontés aux réductions de postes a pu être assuré pour la majorité d'entre eux. En effet, l'ensemble des mesures d'accompagnement social a pu être maintenu, un succès que les syndicats, notamment, revendiquent. Pour commencer, la cellule de reclassement continuera à exister; la préretraite anticipée aussi (lire ci-contre). Cependant, ce qui est un grand soulagement pour les centaines de personnes concernées n'est pas sans frais pour le gouvernement. Et ce dernier a accepté de faire des concessions majeures au niveau de l'amortissement social. En contrepartie des promesses d'investissement d'ArcelorMittal, le ministre a accepté de desserrer les cordons de la bourse.
Un modèle social prolongé
D'abord, au niveau de l'ajustement des préretraites. Alors qu'ArcelorMittal prenait jusqu'à présent en charge 30% des frais liés aux départs à la retraite anticipés, l'entreprise ne paie désormais plus rien et c'est l'État qui intervient. S'y ajoute que, grâce à l'accord LUX2016, les préretraites commencent désormais le 1er janvier de l'année du 57e anniversaire, c'est-à-dire que les concernés n'auront plus à attendre le mois qui suit cet anniversaire pour quitter l'entreprise. Enfin, la durée du chômage partiel, de six mois initialement, a été portée à dix mois.
Ces mesures coûtent au total 60millions de plus au Fonds pour l'emploi, une somme qui aura forcément un impact sur le budget de l'État et que les députés, lors du débat sur les finances publiques qui aura lieu cet après-midi à la Chambre, évoqueront certainement. Avec ces concessions faites à ArcelorMittal, le ministre de l'Économie, Etienne Schneider, a d'ailleurs respecté, en partie, la motion que ces derniers ont adoptée mardi suite à l'interpellation sur l'avenir de la sidérurgie, introduite par le député vert Felix Braz. Celle-ci invitait le gouvernement «à maintenir les mesures sociales permettant aux salariés d'ArcelorMittal d'éviter la précarisation économique en cas de perte d’emploi» et «à veiller dans ce contexte à la réalisation des investissements nécessaires à la pérennisation des sites sidérurgiques luxembourgeois».
Hier, les parties prenantes à l'accord LUX2016 se sont félicitées de son volet social. À commencer par les syndicats: «Il n'était pas facile de négocier, mais aujourd'hui nous pouvons dire que nous avons trouvé un accord qui assure la situation des salariés concernés.» Le ministre de l'Emploi, Nicolas Schmit, a ajouté : «Cet accord prolonge notre modèle social traditionnel, dans l'intérêt des salariés du secteur.»
Toutefois, le ministre Etienne Schneider a tenu à souligner un point non négligeable: en cas de non-respect de l'accord par ArcelorMittal, le gouvernement se réserve le droit de renégocier l'accord. Autrement dit, si le géant de l'acier ne tient pas sa promesse d'investissement, sa participation dans la prise en charge des mesures sociales augmentera à nouveau.
lequotidien.lu