Comprendre la crise espagnole en 5 questions

 

 

Comprendre la crise espagnole

en 5 questions

 

Par Guillaume Guichard  02/06/2012
 
 
Un mineur espagnol en grève. Les employés du secteur protestent contre les baisses de subvention au secteur.

Un mineur espagnol en grève. Les employés du secteur protestent contre les baisses de subvention au secteur.Crédits photo : Juan Manuel Serrano Arce/AP
 

Chômage de masse, crise bancaire et immobilière, déficits publics mal contrôlés… l'Espagne est plongée dans une crise complexe. Peut-elle y faire face seule? L'Europe aurait-elle les moyens de l'aider si besoin ?

1- De quoi souffre l'Espagne?

La croissance espagnole est en panne. Le pays a vu son activité reculer de 0,3% début 2012, après une baisse de même ampleur fin 2011. Le pays est frappé par un chômage de masse: près d'un actif sur quatre cherche un emploi. Il connaît également une grave crise immobilière depuis quatre ans. Et la chute des prix de la pierre ne ralentit pas, ils ont dégringolé de 7,2% durant les trois premiers mois de 2012. Chômage et crise immobilière ont engendré une crise bancaire, les établissements espagnols devant faire face à une hausse du nombre de mauvais payeurs. Au total, les «actifs à risque» dans l'immobilier représentent un peu plus de la moitié de leurs investissements dans ce secteur, soit 184 milliards sur un plus de 350 milliards d'euros.

 

Dans le même temps, le gouvernement de centre-droit de Mariano Rajoy applique la potion amère de la rigueur, ce qui plombe la croissance. Le déficit, c'est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses de l'État, pourrait malgré tout dépasser la cible fixée pour fin 2012 (5,3% du produit intérieur brut, ou PIB). Résultat, la dette est peu élevée (68,5% fin 2011), comparée à la moyenne de la zone euro (87,2%), elle gonfle rapidement. Pire, certaines régions font face à une situation financière catastrophique et l'Etat doit leur venir en aide. Il leur a versé 7 milliards d'euros depuis le début de l'année, soit presque un tiers de plus qu'en 2011 à la même époque.

2- Comment en est-elle arrivée là?

 

Tout a commencé il y a quatre ans avec la chute des prix sur le marché immobilier. Dans les années 2000 la croissance du pays a été en grande partie tirée par l'essor de la construction. Mais l'Espagne a trop construit et le marché s'est brutalement retourné en 2008. Depuis, les prix ont chuté d'un quart, relèvent les analystes de Citi. Ils devraient encore se contracter de l'ordre de 20% à 25% à moyen terme. Pour une raison simple: il restait, à la fin mars, environ 700.000 maisons qui ne trouvaient pas preneur sur le marché.

 

Dans le même temps, le chômage a explosé. En partie à cause de l'importance du secteur du bâtiment pour le marché de l'emploi (encore 9% aujourd'hui, contre 6% en moyenne dans la zone euro). Mais aussi parce que l'Espagne présente un des marchés du travail les plus rigides au monde, figurant en cette matière au 132e rang sur 144 pays, selon BNP Paribas. Par exemple, les entreprises devaient jusqu'à présent demander une autorisation avant de réduire les heures de travail de ses employés

3- De combien l'Espagne a-t-elle besoin? Peut-elle se débrouiller seule?

Le problème, ce sont les régions et les banques. Pour remettre les unes et les autres sur pied, l'État doit trouver entre 100 et 150 milliards d'euros, a calculé l'assureur-crédit Euler Hermès. Il ne faut pas non plus dramatiser, relativise pour sa part Jean-François Robin, stratégiste chez Natixis: «Ce n'est que si les banques n'arrivent pas à se refinancer par elles-mêmes que l'État devra agir.»

 

«Dans des conditions normales de marché, l'Espagne serait capable de faire face aux besoins des banques», écrivent pour leur part les économistes de Bank of America Merrill Lynch. Si l'État refinançait à lui seul le secteur en difficulté, il verrait sa dette gonfler jusqu'à 95% en 2014. Dans le meilleur des cas. Problème, les conditions auxquelles Madrid s'endette aujourd'hui «sont loin d'être normales», reconnaissent-ils. Signe d'une nouvelle défiance des investisseurs, les taux espagnols oscillent maintenant aux alentours de 6,5%. Un niveau dangereux. Lorsqu'ils ont dépassé la barre des 7%, la Grèce le Portugal et l'Irlande n'ont pu faire autrement que réclamer l'aide européenne.

 

D'autre part, les capacités financières de l'État se réduisent comme peau de chagrin. D'abord, la crise réduit les rentrées fiscales et plombe les dépenses. Les recettes de TVA ont chuté de 14% depuis le début de l'année. Les dépenses sociales et de chômage ont pour leur part augmenté de 2,8%, largement au-dessus de la cible de 1,5% que s'était fixée le gouvernement. Il est aussi beaucoup plus coûteux pour l'Espagne d'emprunter de l'argent sur les marchés.

4- L'Europe peut-elle aider l'Espagne?

Sans aucun doute, avance Gilles Moec, économiste chez Deutsche Bank. «La puissance de feu additionnelle» de 500 milliards d'euros présentée fin mars «couvre aisément les besoins de refinancement de l'Espagne entre 2012 et 2014, soit 245 milliards d'euros», estime-t-il. Mais c'est sans compter les éventuelles injections pour les banques, ni les versements aux régions sur ces deux prochaines années.

 

Prendre en charge totalement l'Espagne, de la même façon que cela a été fait pour la Grèce, pourrait se révéler superflu. L'Europe pourrait financer directement les banques espagnoles en difficulté. Le dossier Bankia, un des établissements les plus mal en point, pourrait accélérer les choses. Il a besoin de 19 milliards d'euros pour compléter sa recapitalisation. L'Espagne dit pouvoir se débrouiller seule et ne veut pas de tutelle européenne. Bruxelles trouve cette voie dangereuse. Afin d'infléchir la position de Madrid, l'Union européenne pourrait lâcher du lest sur ses exigences de baisse du déficit public, comme l'a proposé le commissaire européen Olli Rehn mercredi. En échange de quoi, l'Espagne accepterait l'aide internationale pour refinancer ses banques.

5- Existe-t-il des raisons d'espérer?

Tout ne va pas mal dans le pays, comme le rappelle la banque espagnole BBVA dans un récent rapport. «Depuis 2008, l'Espagne a amélioré sa compétitivité et sa productivité plus vite que n'importe quel autre pays européen», souligne-t-elle. La productivité horaire a ainsi progressé de 8,3% depuis le début de la crise. Résultat, ses exportations ont bondi de 9,5%, pendant que celles de ses partenaires n'augmentait que de 1%. C'est même mieux que l'Allemagne. Cependant, notent les économistes de Citi, ce moteur n'est pas suffisant pour sortir l'Espagne de la crise.

 

 

Le Figaro



08/06/2012

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