L industrie europeenne competitive ?
L’industrie européenne compétitive ?
15/04/2012
La question de la compétitivité de l’industrie européenne revient de manière récurrente dans le débat public. Les efforts demandés aux salariés seraient une contribution indispensable à la réindustrialisation de l’Europe occidentale. L’Allemagne serait l’exemple le plus abouti de ces politiques fondées sur une flexibilité accrue et la baisse du coût du travail. Pourtant, la compétitivité d’une entreprise ne peut se résumer au coût des facteurs de production et à la productivité de l’outil. Elle dépend aussi des caractéristiques du marché, du positionnement du produit et des attentes de profits.
La réussite du "Made in Germany", c’est celle d’une image de rigueur, de technique et de sérieux, qui permet d’attirer les clients tout en pratiquant des prix plus élevés. Toute entreprise peut espérer mettre en place ce type de stratégie, et en ce sens, l’industrie allemande reste un modèle pour beaucoup d’investisseurs. L’"exemple" allemand ne peut pourtant être un modèle collectif.
Contrairement à ce que l’on croit, l’emploi dans l’industrie manufacturière a baissé en Allemagne en valeur absolue entre 2002 et 2009 (-500000personnes / OCDE). En valeur relative, il ne représente plus que 24.5 % de l’emploi salarié contre 28.2 % en 2001 (Eurostat). Outre la pression sur les salaires, des attentes de profits élevés ont eu un impact direct sur l’emploi.
L’industrie allemande a massivement recours à la sous-traitance dans les ex-pays de l’Est pour engranger des profits élevés. Ce sont ces mêmes attentes de profits élevés qui condamnent la sidérurgie liégeoise : plus aucun investisseur ne veut s’encombrer d’outils industriels offrant des rentabilités sur capitaux propres de l’ordre de quelques pour cent. De plus, les segments du haut de gamme ne sont pas extensibles à l’infini.
Le cœur du marché reste le milieu et l’entrée de gamme, le positionnement prix y est un facteur essentiel. Sur ces segments, le rapport de force favorable à la grande distribution se conjugue à une guerre des prix. L’industrie européenne est incapable, en produisant localement, de faire face à cette double pression sur les prix et les attentes de profits élevés.
Maintenir l’emploi industriel en Europe passe par une vision globale qui va à contre-courant du paradigme dominant. Le maintien de l’industrie passe avant tout par l’existence d’un marché attractif. Les politiques d’austérité qui touchent la population sont contre-productives, car elles renforcent les pressions sur l’industrie. De même, l’alignement social par le haut des anciens pays de l’Est est une nécessité absolue.
Le progrès social partagé que l’on nous avait vendu au moment de la chute du Mur n’a pas eu lieu. Pire encore, si l’ex-Europe de l’Est a progressé, l’Europe de l’Ouest est en train de faire le chemin inverse. Les attentes de profit doivent aussi être régulées par des politiques fiscales adaptées.
Est-il normal que l’entreprise industrielle, avec des cycles de capitaux longs et des rentabilités sur capitaux propres peu élevées, soit taxée de la même manière que les banques ou la grande distribution ? Que la plus-value de court terme soit taxée comme la plus-value de long terme ?
Il faut une harmonisation fiscale pour l’impôt sur les sociétés en Europe. Elle doit intégrer une approche différenciée par secteurs et mettre fin aux niches fiscales qui créent des effets d’aubaine tout en encourageant cette quête d’un profit élevé. De même, il faut organiser la protection de l’industrie européenne. Certains produits vivent sur des marchés mondiaux (l’aéronautique, l’automobile ) et doivent rester dans le cadre d’une économie ouverte.
Mais cette économie ouverte doit se dérouler à équivalence des règles du jeu, ou dans le cadre d’une démarche bilatérale visant à aligner ces règles du jeu. D’autres marchés comme l’industrie textile n’ont pas besoin de cette dimension planétaire, il est nécessaire de fermer les frontières pour maintenir un peu d’industrie sur ces secteurs. Faute d’entreprendre cette démarche, nous courrons deux risques majeurs : la construction d’îlots de richesse et de prospérité au sein de régions en déclin et le repli sur soi initié par des gouvernements nationalistes. Ces deux situations sont non seulement contraires aux objectifs affichés de la construction européenne, mais elles représentent un vrai risque sur le long terme.
lalibre.be