La crêpe fourrée (un p'tit goût de et M...)

 

 

 

La crêpe fourrée

 

 

La bâtisse, fraîchement repeinte en bleu, tranche avec la blancheur de l'hiver. Située face à la mer, elle donne envie de se balader malgré le froid de ce mois de décembre. La neige inonde le paysage.

 

La plage est déserte, à l'exception d'une jeune femme et de son ombre solitaire. Ses pas s'enfoncent, se marquent, font crisser la poudreuse. Le vent sec s’attarde et se joue du ruban noir enlacé dans sa tresse tant et si bien qu’elle se dénoue, redonnant la liberté au ruban satiné.

 

Pas même un geste pour le retenir, mais a-t-elle seulement su un jour retenir ce qui lui semble beau ?

Les vagues sont timides. Le soir s'annonce à grandes foulées. Le soleil embrase l'eau qui revêt un dégradé de rose. L’étendue angoissante se retire avec paresse.             

 

Elle marche le long du brise-lame, souffle sur ses doigts engourdis.

Le picotement de ses extrémités lui rappelle la présence de son corps.

Dans sa tête, pourtant, elle se sent comme ces mouettes qui forment un étrange ballet, qui zigzaguent en toute liberté autour d'un point invisible. Leurs cris retentissent au loin.

 

Pour résumé, se dit-elle, ces volatiles sont légers, gracieux, non pas gras ; gracieux ! Ils conversent entre congénères, comprennent le même langage certes bruyant mais ils se comprennent.

 

Je n’irai pas jusqu'à dire que je rêve d’être une mouette, non mais…

Vu le stade où j’en suis, c’est tout comme.

Absorbée par la contemplation du ciel, la neige meuble se dérobe sous ses chaussures de rangers.

 

La malheureuse roule littéralement deux mètres en contre-bas, atterrit face contre mélasse détrempée,  ses cheveux collent sur son visage.

 

Contre tout attente, un juron digne de ce nom s’élève, déchirant le magnifique tableau de cette balade hivernale.  Prostrée dans son indignation, ses poings frappent le sol innocent. La colère passe, la peine reste. Ses vêtements sont mouillés, salis.

 

Elle tremble de froid et se met à hurler pour la plage entière :

« Cette fois, ça y est, j’ai touché le fond. Je roule vraiment…je suis seule, obèse et bête à bouffer de la neige !!! »  

En se redressant, elle aperçoit un couple de jeunes tourtereaux qui l’observent, riant à peine sous cape.

 

Elle dirige directement vers la fille un doigt qui n’était pas seulement celui de la vengeance et lui offre sa plus belle tirade :

« Riez, vous qui en avez encore le cœur, tant qu’il y aura des filles comme moi, vous vous sentirez svelte et belle ! Vous vous sentez à l’abri ? Grossière erreur, Mademoiselle ! ».

 

Elle se campa d’un bond sur ses pieds et, geste à l’appui, mima le reste de ses sarcasmes :

« Nous en reparlerons dans dix ans de cochonnailles à l’apéro et crèmes glacées au dessert. Votre string, ma belle, ne sera plus qu’une vulgaire ficelle pour saucisson, car vos jolis attributs si fermes sont inexorablement attirés par la gravité de la terre. Quant à votre Jules, dont vous êtes apparemment si fière, il arborera une splendide calvitie et ses présumées tablettes de chocolat auront fondu à la vitesse de vos illusions.  Ha ! ça fait peur, hein ? Tant mieux, ce n’est que la dure réalité. Je ne vous salue pas. Bonne promenade ! »

 

Le couple, médusé, reprend la marche dans un silence religieux, la bobine en déconfiture. Hors d’haleine, mais visiblement soulagée, la naufragée des régimes protéinés redresse la tête, estimant l’outrage réparé.

 

Trop loin de son hôtel bleu, elle décide de continuer pour trouver un endroit où se sécher. Plus rien, en tout cas pour les quinze prochaines minutes, ne peut gâcher son humeur enjouée.  Au bout du chemin, se dresse une auberge sortie tout droit d'un conte pour enfants.

Son toit de chaume lui rappelle le pain d'épices et, des murs plus sombres, elle pourrait entendre le barrissement du savoureux noir de noir de chez Côte d’or.

 

Le chemin de l'entrée a été dégagé. Les congères des abords forment d'énormes meringues. Sur le sommet de cet immense dessert, trône une cheminée biscuitée d’où semble s'échapper un nuage de lait chaud, invitation irrésistible qui sera ô combien honorée.

 

Elle pousse la porte, des rires fusent ça et là. Des enfants jouent autour des clients. Le personnel de l'établissement les contourne en souriant. Sur chaque table sont disposées des bougies  flottantes dans un joli récipient transparent. Le tout donne une luminosité feutrée, reposante.

 

Dans l'âtre, des bûches crépitent. Elle s'installe sur un banc tapissé de velours vert, épais, moelleux. Elle passe le revers de la main dessus. C'est agréable, doux au toucher. Des arômes viennent titiller ses narines.

 

Elle saisit la carte, bien décidée à succomber à la tentation.

Après avoir passé commande, un sous-verre en carton fait les frais de son impatience. Tout en l'émiettant, elle admire un panneau de bois sculpté qui représente une scène où des pêcheurs remontent un filet d'apparence fort lourd.

 

Prés du comptoir, une photographie d'un vieux phare.

Le serveur réapparaît, toujours aussi aimable qu'à son arrivée, apportant une crêpe fourrée. Sans remords, elle la porte à sa bouche.

 

C'est la fête du palais, la mise à mort de ses fesses et l’amnésie de sa conscience. La chantilly fond sous sa langue, le sucre glacé a raison du centimètre carré encore propre de sa veste. La boule vanille enfermée, suave, au milieu de ce piège exquis, tranche sans conteste avec la pâte tendre, dorée, flambée au Grand Marnier. pour ramollir (et pas qu’elle…) la glace sans la liquéfier. C'est un délice, un pied de nez… un pur bonheur, une revanche sur la rudesse de ce monde.

 

Dady Daedala





08/05/2013

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