Conflits d'intérêts sans « Aucun état d’âme » pour Hervé Gaymard ?
Conflits d'intérêts sans
« Aucun état d’âme » ?
Gaymard, administrateur de Dargaud, et fan de l’édition à l’Assemblée
Hervé Gaymard, à l’origine de plusieurs lois très favorables aux éditeurs, siège discrètement au conseil d’administration de Dargaud, aux côtés du président du principal lobby de l’édition. Sans « aucun état d’âme », nous explique-t-il.
Député et président UMP du conseil général de Savoie, Hervé Gaymard est surtout connu pour son bref passage au ministère de l’Economie de novembre 2004 à février 2005, et pour le duplex de fonction que lui louait l’Etat. Il avait dû démissionner lorsque la presse avait révélé qu’il disposait par ailleurs d’un vaste appartement, mis en location.
Aujourd’hui, Hervé Gaymard est devenu le spécialiste du livre à l’Assemblée nationale. Sa dernière initiative réjouit les éditeurs, un peu moins les internautes. Fin avril, il a proposé à la ministre de la Culture de taxer la vente et l’achat de livres d’occasion en ligne, en les assimilant à du piratage.
« Je suis fana de BD »
Hervé Gaymard avait déjà été un des principaux artisans de la loi controversée sur les livres indisponibles. Le texte permet aux éditeurs de numériser les œuvres devenues introuvables en librairie, en les dispensant d’obtenir l’accord préalable des auteurs.
Mais le député n’a jamais jugé utile de rendre publics ses liens avec un éditeur directement concerné par ses initiatives, Dargaud, et avec la principale organisation professionnelle du secteur, le Syndicat national de l’édition (SNE).
Le député a rejoint le conseil d’administration de Dargaud en mai 2008, selon des documents déposés au tribunal de commerce. Il y a notamment rejoint Vincent Montagne, PDG de la maison-mère, Média Participations [PDF], élu président du SNE l’année dernière.
Comment l’austère Hervé Gaymard est-il devenu administrateur d’un des premiers éditeurs de bande dessinée ? Le député nous explique :
« Je suis fana de BD depuis l’adolescence, et j’ai toujours été passionné par le livre. Ils me l’ont proposé un peu en tant que lecteur, à une époque où je n’étais plus parlementaire [Hervé Gaymard a retrouvé son siège en juin 2007, ndlr]. Ça ne me prend que deux fois trois heures par an. »
Des lois favorables aux éditeurs
Lorsqu’il a rejoint le conseil d’administration de Dargaud, il était membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Et entre 2008 et 2011, il a déposé quatre propositions de loi répondant à des revendications des professionnels du livre :
- exempter les librairies du nouveau délai de paiement des fournisseurs imposé aux entreprises (45 jours) : le texte d’Hervé Gaymard, déposé en décembre 2008, sera adopté en janvier 2010 ;
- imposer un prix unique pour les livres vendus en ligne, en réponse aux ristournes proposées par des sites comme Amazon : Hervé Gaymard dépose un texte en même temps que le sénateur UMP Jacques Legendre, en octobre 2010, et le prix unique sera adopté en mai suivant ;
- aligner le taux de TVA du livre numérique (19,6%) sur celui du livre papier (5,5% à l’époque) : Hervé Gaymard dépose sa proposition de loi en octobre 2010, la mesure figurera finalement dans la loi de finances 2011 ;
- numériser les livres indisponibles : Hervé Gaymard dépose une nouvelle fois une proposition de loi en même temps que le sénateur Jacques Legendre, et il sera le rapporteur du texte soumis à l’Assemblée, voté en février 2012.
Les contributions d’Hervé Gaymard à l’avenir du livre et de l’édition ne se sont pas arrêtées là. En 2009, il a ainsi rendu à la ministre de la Culture, Christine Albanel, un rapport remarqué [PDF], qui sera ensuite publié chez Gallimard. Le député avait auditionné des dizaines d’experts. Dont Vincent Montagne, son camarade du conseil d’administration de Dargaud...
Celui-ci se félicite du travail d’Hervé Gaymard, chez Dargaud (« en BD, il s’y connaît plus que moi ! ») comme à l’Assemblée nationale :
« Il joue son rôle de parlementaire, et il est très déterminé à défendre le livre. Heureusement qu’on a des parlementaires qui comprennent le secteur... Et quand il est entré au conseil [d’administration, ndlr], je n’imaginais pas qu’il serait à ce point investi. Je l’encourage, car le marché du livre a besoin d’être régulé. »
Le mandat d’administrateur chez Dargaud n’est pas rémunéré, insistent Hervé Gaymard et Vincent Montagne (les statuts de la société lui laissent la possibilité d’accorder des jetons de présence, ainsi que « des rémunérations exceptionnelles pour les missions ou mandats confiés à des administrateurs. »).
« Aucun état d’âme »
Mais peut-on à la fois légiférer sur le secteur de l’édition, et siéger au conseil d’administration d’une grande maison d’édition ? Hervé Gaymard n’y voit aucune incompatibilité :
« – Très franchement, je n’ai aucun intérêt financier ou monétaire. Est-ce que ça devrait m’interdire de poser une question au gouvernement [sur la taxation des livres d’occasion vendus en ligne, ndlr] ?
– Vous avez aussi déposé plusieurs propositions de lois...
– J’en suis très fier ! J’ai contribué à ce que la moitié des librairies de France ne disparaissent pas, en modifiant les délais de paiement. J’ai été également le promoteur de l’alignement du taux de TVA, j’ai aussi contribué à la loi sur les œuvres indisponibles... Ce n’est un secret pour personne que je m’intéresse au livre, et je l’ai déclaré au déontologue de l’Assemblée nationale. Il n’y a aucun état d’âme et aucune difficulté de mon côté. »